Guerre, victoire, gloire, héroïsme : les représentations de la mythologie antique dans les entrées royales françaises de 1515 à 1517

SARAH LAFLAMME-TREMBLAY
Université du Québec à Montréal

Résumé
Cet article porte sur les entrées royales de Paris (1515), Lyon (1515) et Rouen (1517) qui illustrent la façon dont la Renaissance représente les qualités guerrières et héroïques de François Ier dès le début de son règne. Une question est au cœur de cette étude : dans la mise en scène de ces entrées royales, comment le syncrétisme entre la culture chrétienne et l’héritage antique conjugue-t-il l’usage de la mythologie gréco-romaine et le renforcement d’une monarchie de droit divin?

Mots-clés

Plan

  1. L’humanisme français et son emploi des figures mythologiques
  2. Entrée royale de Paris (1515) : les fonctions guerrières et intellectuelles sous l’œil de la Divine Providence
  3. Entrée royale de Lyon (1515) : la protection de Dieu et l’Hercule-chevalier
  4. Entrée royale de Rouen (1517) : le Jupiter protecteur de la Chrétienté et le roi-Persée noble et vaillant

L’entrée royale est une cérémonie monarchique qui sert à renforcer le pouvoir royal par sa propagande. Le roi entre dans une de ses bonnes villes qui l’accueille solennellement et symboliquement. Au cours de l’entrée, son cortège déambule dans les rues de la ville où plusieurs spectacles lui sont présentés. D’une part, ces derniers sont érigés afin que les élites urbaines obtiennent la confirmation de l’octroi de privilèges, franchises et libertés, et d’autre part, ils sont élaborés pour glorifier les prouesses, les exploits et les vertus que doit cultiver le monarque pour son bon gouvernement. Les entrées permettent de représenter la dignité royale, mise en scène à travers des images symboliques[1]. Comme Elie Konigson le précise, sous le règne de Charles VIII, les figures « expriment à la fois l’image que la royauté veut imposer d’elle et les aspirations de la cité »[2]. Un dialogue politique s’établit ainsi entre les sujets et leur roi. Au XVIe siècle, ces événements sont conçus par des lettrés, tels que les poètes et les humanistes, qui se servent de figures mythologiques dans le cérémonial traditionnel de l’entrée pour exprimer un message.

Ces figures deviennent des modèles à imiter[3], et leur association au prince sert à le diviniser dans le but de le glorifier. L’historien Richard Cooper explique que les guerres d’Italie introduisent une « propagande de guerre » dans les poèmes, les manuscrits, les miniatures, les tapisseries et les entrées royales à l’aide des thèmes belliqueux (qualités guerrières, entreprises militaires, victoires) et de leur iconographie[4].

Cet article porte sur les entrées royales de Paris (1515), Lyon (1515) et Rouen (1517) qui illustrent la façon dont la Renaissance représente les qualités guerrières et héroïques de François Ier dès le début de son règne. Une question est au cœur de cette étude : dans la mise en scène de ces entrées royales, comment le syncrétisme entre la culture chrétienne et l’héritage antique conjugue-t-il l’usage de la mythologie gréco-romaine et le renforcement d’une monarchie de droit divin ? Les victoires des troupes françaises dans le cadre des guerres d’Italie constituent une des trames de fond du dialogue qui s’opère entre villes et roi durant les entrées ; elles autorisent l’usage de la mythologie pour glorifier, diviniser et héroïser le souverain. Bien que ces figures antiques ne soient pas uniquement mobilisées pour les représentations guerrières, certaines d’entre elles montrent le souverain à la population comme un roi puissant, capable de conquérir des territoires, d’affronter les ennemis du royaume et de la Chrétienté pour la gloire de la France. C’est le cas de la figure de Mars, qui représente les qualités guerrières, ainsi que celles de Persée et d’Hercule, qui manifestent les prouesses militaires du monarque.

Cette étude se penche particulièrement sur quatre sources, nommées relations d’entrée, écrites par des poètes et des humanistes qui détaillent de manière explicative et descriptive le déroulement de l’entrée[5]. Ces relations transforment ce qui est vu au théâtre de rue en récit littéraire. D’une part, elles doivent décrire la manière dont l’événement s’est déroulé, ainsi que glorifier, légitimer et commémorer le pouvoir monarchique et urbain. D’autre part, bien que ces récits aient un genre littéraire spécifique, chacun d’eux est écrit selon l’interprétation de l’auteur : la relation anonyme de l’entrée parisienne décrit peu les mises en scène, tandis que l’humaniste Pierre Sala offre une description plus détaillée de celle de Lyon et ajoute des explications supplémentaires ; quant aux récits de l’entrée rouennaise, la relation anonyme décrit bien les spectacles, alors que le compte-rendu municipal mentionne le parcours du roi sans donner de détails précis.

En outre, le présent article va plus loin que les précédentes études réalisées sur les entrées royales de François Ier. En effet, plusieurs d’entre elles n’accordent pas ou peu d’importance aux figures mythologiques. C’est le cas de Bernard Guenée qui souligne le développement du cérémonial médiéval sans s’intéresser aux figures antiques[6] et d’Anne-Marie Lecoq qui analyse sommairement certaines de ces figures dans son étude sur l’iconographie exploitée pour imaginer le souverain au début de son règne[7]. Certaines études, cependant, analysent un peu plus les figures antiques, mais ne se concentrent pas sur le syncrétisme : Josèphe Chartrou s’attarde bien plus à l’évolution des traditions artistiques de ces représentations qu’à l’utilisation concrète des motifs antiques et mythologiques[8], tandis que Richard Cooper traite davantage de l’influence humaniste et politique présente lors des règnes subséquents.

Pour une meilleure compréhension de l’usage des figures mythologiques à la Renaissance, l’humanisme français sera d’abord mis en contexte. Ce n’est qu’ensuite que les figures, employées sous le thème de la guerre, seront analysées : Paris représente François Ier en souverain guerrier et cultivé grâce à Mars et à Minerve, Lyon le présente en puissant chevalier protégé par Dieu (Zéphyr et Hercule), alors que Rouen emploie Jupiter, Hercule et Persée pour personnifier un roi protecteur du peuple français et chrétien, noble et vaillant. En outre, les personnages et les thèmes issus de l’époque médiévale sont aussi présents, comme c’est le cas du personnage de Divine Providence et du cerf ailé, une personnification christologique.

1. L’humanisme français et son emploi des figures mythologiques

L’humanisme est un mouvement intellectuel qui s’intéresse à la condition humaine, à la philologie, aux langues anciennes et à l’étude de la littérature ancienne, comme les œuvres de Virgile, d’Ovide et de Cicéron. Durant le Quattrocento, les humanistes italiens développent de ce fait une nouvelle interprétation des mythes antiques, redécouverts dans leur version gréco-romaine. Au cours des vingt premières années du XVIe siècle, les grands humanistes français empreints d’idées nouvelles comme Guillaume Budé, Jacques Lefèvre d’Étaples et Jean Lemaire de Belges, découvrent les nombreux écrits des humanistes italiens et les diffusent en France[9]. Des éléments antiques se manifestaient déjà dans les entrées royales de Charles VIII et Louis XII, qui avaient mis les pieds dans la péninsule au cours des premières guerres d’Italie, mais ce goût ne fait que croître sous François Ier. Influencés par l’italianisme, les humanistes français veulent montrer le souverain comme un orateur, un héros et un guerrier à l’antique[10].

L’historien Jean Jacquot a fait remarquer que :

À partir de la Renaissance se trouvent juxtaposés deux traditions, deux systèmes de référence entre lesquels se tissent de fins réseaux de correspondances. La société demeure chrétienne dans ses structures et son idéologie, cependant ses porte-paroles recourent à des modèles, des symboles, qui proviennent des civilisations classiques.[11]

Les dieux et héros de l’Antiquité réapparaissent lors des entrées royales de François Ier. Sous leur forme antique, les figures incarnent la chevalerie, le prince guerrier et cultivé, la prospérité, la bienveillance, la fécondité et la paix. C’est de cette manière que Persée représente le caractère noble et vaillant du roi guerrier, qu’Hercule personnifie le roi-chevalier et que Minerve personnifie les vertus de la sagesse et de la prudence, alors mises de l’avant chez les lettrés.

Le syncrétisme des cultures chrétienne et antique est au cœur des recherches humanistes. C’est le cas de plusieurs ouvrages, comme les Illustrations des Gaules et singularitez de Troye (1511-1513) de Jean Lemaire de Belges, le Champ fleury (1529) de Geoffroy Tory et l’Emblemata (1531) d’Andrea Alciati. Également, Guillaume Budé utilise la mythologie comme moyen privilégié pour exprimer ses idées[12]. On le voit d’ailleurs dans De Asse (1515), De studio literarum recte et commode instituendo (1532) et Transitu Hellenismi ad Christianismum libri tres (1534). Dans ce dernier, G. Budé cherche à définir le christianisme et à permettre une conversion (transitu) du lecteur : pour expliquer l’économie du salut (plan divin pour les êtres humains), il n’hésite pas à intégrer la symbolique antique retrouvée dans les sources anciennes[13]. Les humanistes ont alors recours aux références et motifs antiques, mais ne font pas disparaître la part chrétienne de leur philosophie. Les traits et les attributs des divinités gréco-romaines sont alors associés à des vertus et des éléments chrétiens.

Lors des vingt premières années du XVIe siècle, les lettrés qui conçoivent les spectacles et écrivent les relations d’entrées ne sont pas tous des humanistes. Certains sont des poètes de cours et de régions, mais ceux-ci ne délaissent pas les textes anciens et la culture antique. Les spectacles des entrées utilisent les figures mythologiques pour traiter des mœurs de la civilisation française et des événements contemporains. Ces figures sont alors les représentations symboliques du modèle idéal du prince chrétien et renaissant. Cependant, bien que présentes, elles ne constituent qu’une petite partie de l’appareil représentatif. Les références médiévales, comme le Roman de la Rose et la croisade, des extraits de la Vulgate et les personnages chrétiens, bibliques et historiques dominent dans les mises en scène.

Les personnages mythologiques voient leur valeur symbolique se transformer pour s’identifier au souverain et glorifier le pouvoir monarchique. Ces figures personnifient un trait de caractère, une qualité, une personne ou une fonction, comme ce fut le cas des allégories, des personnages historiques, bibliques et dynastiques, puis des emblèmes héraldiques à l’époque médiévale : les neuf Preux, Clovis, David et Salomon sont remplacés par des héros comme Hercule, Dame Prudence est remplacée par Minerve, le cerf ailé est remplacé par une figure mythologique incarnant la présence divine, et bien d’autres. À la manière d’une apothéose royale, ces figures mythologiques servent à établir la renommée du souverain en le montrant comme un grand roi, guerrier, conquérant et protecteur. Elles permettent ainsi de renforcer le pouvoir royal et la monarchie de droit divin par l’exaltation de l’image royale.

2. Entrée royale de Paris (1515) : les fonctions guerrières et intellectuelles sous l’œil de la Divine Providence

Au début de l’année 1515, la France est en paix avec plusieurs États européens comme l’Angleterre, les Pays-Bas, l’Espagne, les États pontificaux et la République de Venise[14]. Seuls le duché de Milan et les Cantons suisses, alliés l’un à l’autre, se montrent hostiles, notamment à cause des prétentions françaises sur le Milanais. En effet, dès qu’il monte sur le trône, François Ier veut poursuivre la reconquête du duché de Milan en valorisant les droits hérités de son arrière-grand-mère, Valentine Visconti[15]. Alors que Louis XII a perdu la possession du territoire en 1513, François souhaite rétablir la présence française en Italie[16]. Après la mort de Louis XII, âgé et malade, l’avènement du jeune François permet d’espérer un vent de nouveauté en France.

Le sacre du nouveau roi a lieu le 25 janvier 1515, à Reims, tandis que son entrée dans la capitale du royaume se déroule le 15 février suivant[17]. Celle-ci est notamment conçue par le grand rhétoriqueur Pierre Gringore, poète de cour, auteur d’œuvres politiques, morales, satiriques et théâtrale[18], mais aussi de la relation d’entrée parisienne d’Anne de Bretagne (1504) et de Mary Tudor (1514). La relation de l’entrée, écrite par un auteur anonyme et publiée à Avignon par Jean de Channey[19], montre qu’un seul théâtre sur échafaud utilise des figures mythologiques, soit celui de la Porte aux Peintres. L’apport de l’humanisme réside dans la vision du prince idéal – guerrier et cultivé -, et dans la présence de la nouvelle Pandore. Cependant, P. Gringore et l’auteur inconnu ne sont pas issus du cercle des humanistes. Les valeurs chrétiennes tiennent donc un rôle non négligeable.

Divisé en trois niveaux, soit l’étage supérieur, médian et inférieur, ce spectacle met en scène le récent couronnement du souverain, entouré de divinités païennes, dans le but de célébrer les fonctions royales et les bienfaits qu’apporte François Ier au royaume. Tandis que la Divine Providence est placée à l’étage supérieur, la déesse Flora et les muses Clio, Euterpe et Talia se situent à l’étage inférieur, alors que Mars, Minerve et la nouvelle Pandore entourent une figure représentant le roi assis sur un trône : Pandore, au-dessus du roi, fait mine de le couronner et les deux autres divinités, placées de chaque côté du roi, tiennent respectivement le bâton royal (Mars) et le sceptre (Minerve)[20]. De manière symbolique, la mise en scène divinise François Ier à travers son couronnement.

La représentation de Pandore dans cette mise en scène est inusitée pour l’époque, car elle ne possède pas une connotation négative, contrairement à l’usage courant. Elle n’est ni le symbole de la vengeance divine, tel que le laisse voir Hésiode dans la Théogonie et Les Travaux et les Jours[21], ni considérée comme la responsable de l’introduction des maux et des vices sur terre[22], comme le dépeignent les Pères de l’Église en comparant Pandore à Ève pour corroborer la doctrine du péché originel[23]. Au XVIe siècle, l’association de ces deux personnages se poursuit. Elles sont les premières femmes à l’origine des maux de l’humanité, tels que le présentent le tableau Eva prima Pandora de Jean Cousin et l’ouvrage Pandore (1541) de Jean Olivier[24].

Quoi qu’il en soit, selon l’analyse de Lyse Roy, Pandore est considérée à l’entrée parisienne comme une figure positive dans le cadre de l’avènement du nouveau souverain. De la même manière que les humanistes Andrea Alciati et Rosso Fiorentino quelques années plus tard[25], elle est associée à la figure de l’Espérance, traditionnellement représentée sur scène, et à la figure qui chasse l’Ignorance. Pandore est celle qui a reçu tous les dons divins et les a apportés à l’humanité[26], comme le signifie son nom d’après Jean-Claude Schmitt[27]. De cette manière, la Porte aux Peintres associe François Ier à la nouvelle Pandore qui ramène l’Âge d’or[28] par les dons et les grâces apportés au royaume. Cette association est ensuite attestée par la déesse des récoltes et de la jeunesse éternelle, Flora[29], ainsi que par les Muses bienfaitrices, Clio, Euterpe et Talia. Elles symbolisent dans ce spectacle le renouveau, la paix et l’abondance que procure le souverain, des éléments que chaque nouveau roi de France doit apporter et conserver pour son peuple. Ces cinq divinités présentent le nouveau roi en garant de l’harmonie et de la prospérité du royaume. Leur présence, tout comme celle de Mars et Minerve, permet également de manifester l’élection divine du nouveau souverain, confirmée par le regard de Divine Providence, placée au-dessus de la scène. 

Quant à Mars et Minerve, ce sont le pouvoir et l’autorité royale qui sont manifestés grâce au bâton et au sceptre qu’ils tiennent respectivement. Alors que Mars, le dieu mythique de la Force guerrière[30], reflète la puissance martiale que doit posséder François Ier, Minerve est représentée en tant que déesse de la Sagesse et des Sciences[31] afin de manifester la prudence que doit cultiver le roi dans son bon gouvernement. Par l’exaltation de ces qualités royales, ils représentent ainsi deux parts inséparables de la personne du roi de France, soit la figure du guerrier et celle du sage. En effet, les penseurs italiens du XVe siècle, tels que Leon Battista Alberti et Vespasiano da Bisticci, voient dans la bravoure martiale et la sagesse deux caractéristiques importantes pour faire du roi un chef militaire et politique[32]. Puisqu’il faut faire la guerre pour obtenir la paix, les humanistes du Quattrocento légitimisent la première seulement si elle permet de se défendre contre une attaque étrangère, de reprendre des biens et territoires usurpés, ou de réagir face à une offense, explique Laurent Bolard[33]. Comme Pandore, Flora et les trois Muses, ces deux divinités traduisent l’espoir du bon gouvernement, cette fois-ci à l’aide de la force guerrière et du bon raisonnement : François Ier est montré en roi chevalier et prudent qui doit garantir la paix intérieure et extérieure, mais aussi la stabilité et l’harmonie du royaume par la défense du territoire et sa bonne justice[34].

Le spectacle de la Porte aux Peintres permet ainsi d’établir la légitimité de François Ier en tant que nouveau roi bienveillant, raisonné et puissant. Enfin, une seule figure traditionnelle médiévale (la Divine Providence) est présente dans ce spectacle, dont le rôle est de légitimer l’avènement du roi comme une élection divine. Tandis que les cinq premières déesses manifestent l’espoir, l’abondance et la prospérité, les deux dernières divinités représentent l’autorité et la puissance royale, ainsi que les qualités guerrières et intellectuelles nécessaires pour diriger le royaume et remporter la victoire dans les campagnes militaires.

3. Entrée royale de Lyon (1515) : la protection de Dieu et l’Hercule-chevalier

En juillet 1515, François Ier convoque l’armée royale à Lyon pour les préparatifs de reconquête du Milanais, la cité devenant ainsi le centre de rassemblement des troupes militaires[35]. Le souverain en profite pour y faire son entrée solennelle le 12 juillet. C’est donc dans le contexte du départ de l’armée pour le duché italien que la cérémonie est élaborée par le poète Jean Richier et l’architecte Jean Yvonnet, deux Lyonnais responsables des fêtes de la ville de 1515 à 1516[36]. D’après Richard Cooper, ces deux concepteurs en profitent pour ajouter des motifs antiques au cérémonial, déjà établi depuis l’époque médiévale[37], grâce aux personnages de Zéphyr, de la figure d’Hercule et du thème du jardin des Hespérides. Un syncrétisme s’opère entre ces figures mythologiques, l’idée de représenter la volonté de dieu (Zéphyr) et l’idéal chevaleresque (Hercule au jardin des Hespérides). La relation de cette entrée est rédigée, d’après George Guigue, par Pierre Sala[38], qui relate l’événement de manière détaillée. Cet humaniste lyonnais est à la fois un collectionneur d’antiquité, poète, philologue et courtisan des rois Charles VIII, Louis XII et François Ier[39].

Le premier théâtre se déroule sur la Saône, afin de présenter comme une entreprise chevaleresque le départ de l’armée pour la campagne italienne[40]. Le spectacle nautique met en scène un grand cerf blanc, ailé, qui tire à l’aide de chaînes d’or le grand navire portant l’étendard des armes de France. Ce n’est qu’au sommet du mât que la première figure mythologique de l’entrée apparaît : Zéphyr, personnification divine du vent, souffle la voile du bateau afin de le mener vers le succès militaire[41] (Annexe I).

Pour mieux comprendre le rôle de Zéphyr, il faut d’abord saisir la raison pour laquelle le cerf ailé, manifestation de Dieu et image royale depuis Charles VI[42], est présent dans cette mise en scène. Pierre Sala offre une explication en comparant l’entreprise militaire du roi Clovis à celle de François Ier : dans le passage de la chronique de Clovis relatant la guerre contre les Alamans, le cerf est une incarnation christologique qui apparaît pour aider l’armée à franchir une rivière entravant leur avancée, ce qui lui permet de remporter la victoire[43]. De plus, le personnage de Guide Loyal, qui personnifie le connétable Charles de Bourbon, est assis sur cet animal, épée flamboyante à la main. Il est de tradition dans les cérémonies d’entrée de voir le connétable précéder le roi dans le cortège en portant l’épée royale. Dans le cas du spectacle de l’entrée, l’image qu’offre Guide Loyal permet de souligner que le connétable, en tant que commandant de l’avant-garde de l’armée royale, a la tâche de combattre dans le feu et le sang les ennemis[44], c’est-à-dire les troupes du duc de Milan. Le cerf apparaît donc dans cette entrée lyonnaise pour guider l’armée de François vers la conquête du Milanais, afin que ce dernier, comme Clovis, remporte la guerre. Zéphyr et le cerf divin représentent l’espérance du bon présage pour l’entreprise militaire de François, puisqu’ils guident le navire vers la victoire : Pierre Sala précise même que Zéphyr, le vent favorable, représente l’ange de Dieu ayant comme mission de prévenir les périls qui guettent le roi[45].

Le syncrétisme des cultures antique et chrétienne permet ainsi de supporter idéologiquement la campagne militaire du roi, en la présentant comme un succès incontesté de la France, puis en faisant intervenir Dieu à travers les figures du cerf ailé et de Zéphyr. Ces derniers indiquent que c’est à l’aide de l’intervention et de la volonté divine que François Ier réussira à reconquérir le Milanais.

Le spectacle de la Place au Change, dernière mise en scène contenant des personnages mythologiques, poursuit l’objectif du spectacle nautique en représentant un Hercule-chevalier qui conquiert le jardin des Hespérides, son onzième travail. Ce qui met en scène, comme l’interprète Anne-Marie Lecoq, la conquête du duché de Milan par François Ier[46], alors usurpé par Massimiliano Sforza. P. Sala décrit que le spectacle présente un jardin nommé « Le Jardin de Milan », un pommier de pommes d’or et une porte possédant l’écu des armes de Milan. Sur le pommier, un personnage cueillant les fruits et portant un vêtement de soie bleue parsemé de fleurs de lys est nommé Noble Champion : il représente le roi de France. Sous le pommier, trois filles nommées France, Bretagne et Juste Querelle sont placées à côté d’un homme appelé Bon Droit. À l’extérieur du jardin sont installés un personnage armé nommé Le More (Massimiliano Sforza) et un ours ensanglanté (les cantons suisses)[47] (Annexe II).

L’auteur poursuit la description du spectacle, présenté comme une histoire incorporant deux personnages mythologiques : c’est Atlas (Massimiliano [48]), par sa force, sa tyrannie et sa cupidité, qui usurpe ce pommier chargé de pommes d’or d’un jardin appartenant en héritage à certaines filles (Claude de France et Renée, les filles de Louis XII), puisqu’aucun homme n’a osé entreprendre la conquête de ce jardin en leur nom. « Par quoy posséda ledict géant [Atlas] par long temps ledict jardin, queullant les pommes d’or, jusquez à ce que Hercules fut averti du droict des pucelles, par quoy entreprit la conqueste dudict jardin et pommes »[49].

Le syncrétisme entre la culture chrétienne, par l’idéal chevaleresque imposé au souverain, et la culture antique est mis en scène à l’aide des figures allégoriques hérités du Roman de la rose (XIIIe siècle). Il s’agit de Noble Champion et du jardin, puis ceux-ci sont transformés sous l’inspiration mythologique en Hercule et en jardin des Hespérides. François Ier est à cette occasion incarné par deux personnages : il est à la fois Noble Champion et le « vaillant conquérant »[50] Hercule à la conquête du jardin des Hespérides, qui cueille les pommes d’or pour le compte de Claude (dans le mythe gréco-romain, il fait don de ces fruits à Minerve[51]).

Au Moyen Âge, la guerre sert à légitimer le rôle du prince et à s’enrichir, alors que la fonction combattante du roi est souvent représentée à l’extérieur des entrées solennelles[52]. Cela ne change pas au début du XVIe siècle. Hercule est la figure parfaite pour incarner le chef d’État, et par lequel les exploits sont identifiés à ceux du souverain[53]. D’après Marc-René Jung, Hercule devient jusqu’en 1520 une allégorie de la guerre, de la victoire et de la paix au cours des fêtes royales et urbaines[54]. Il devient l’image idéale du preux et puissant chevalier, triomphant de ses ennemis grâce à sa force. Cet idéal chevaleresque ne date toutefois par du XVIe siècle, puisqu’il était déjà incarné à l’époque médiévale par un groupe de neuf preux[55] chevaliers qui défendaient les plus faibles et qui possédaient la force de la vertu, comme l’indiquent les textes de saint Antoine et de l’Évangile[56]. À la Renaissance, Hercule ne fait que remplacer le rôle symbolique des neuf hommes en tant que modèle idéal de la chevalerie, héroïsant ainsi le roi pour le glorifier[57] dans ses exploits. C’est de cette façon qu’il est associé à François Ier pour incarner le prince chevalier, rempli de vaillance et de force, soit une des vertus cardinales essentielles à cultiver dans le bon gouvernement du roi[58].

Populaire à la Renaissance, Hercule personnifie au début du siècle le modèle du bon prince qui enrichit le pays, défend les dames et combat les abus[59]. Par ailleurs, ce modèle existe déjà lors de l’entrée viennoise de Charles VIII en 1490[60]. C’est au cinquième théâtre que le thème d’Hercule au jardin des Hespérides est présenté pour incarner le roi en gardien du royaume et de la paix[61]. Comparant les deux spectacles, Lyse Roy voit à Lyon 1515 la justification de la guerre italienne de François, préfigurant le succès de sa conquête milanaise[62]. En effet, la cérémonie est l’une des dernières entrées avant le départ des troupes royales. Dans le but de légitimer l’entreprise militaire, l’entrée présente la future victoire du roi contre le duc de Milan, identifié à Atlas. Seul Hercule, le modèle du prince idéal, peut déjouer le titan, comme le raconte son onzième travail.

L’entrée de Lyon, décrite par Pierre Sala, présente dans chacun de ses spectacles des formes de syncrétisme entre culture chrétienne et culture antique. Dans une première scène, Zéphyr et le cerf ailé convergent pour incarner la sanction divine du succès militaire. Dans une seconde, l’entreprise militaire est justifiée par la figure de Noble Champion, représentant l’idéal chevaleresque, puis par les personnages d’Atlas et d’Hercule. Ce dernier spectacle utilise le thème du jardin des Hespérides pour présenter le roi héroïque, fort et vaillant, libérant pour une juste cause le territoire usurpé[63] au nom de la reine Claude et de sa sœur Renée.

4. Entrée royale de Rouen (1517) : le Jupiter protecteur de la Chrétienté et le roi-Persée noble et vaillant

Le syncrétisme ne se retrouve pas uniquement dans les personnages allégoriques et mythologiques. Il se retrouve aussi à l’intérieur des idées venues de l’époque médiévale (la chevalerie, la croisade, le thème solaire) et dans les références bibliques, comme c’est le cas des citations prises à partir de la Vulgate et des Psaumes contenus dans la relation de l’entrée rouennaise (2 août 1517).

L’importante victoire française à Marignan (13-15 septembre 1515) et la récupération du Milanais, procurent à François Ier un nouveau prestige et une nouvelle puissance européenne. Revenu en France en 1516, ce roi de 21 ans entame une tournée du royaume qui célèbre sa victoire et lui rend gloire comme l’idéal roi-chevalier[64] qui a réussi à battre dès la première année de son règne les mercenaires suisses, réputés invincibles[65]. Alors qu’il visite la Picardie et la Normandie[66], François fait son entrée à Rouen. Selon une relation anonyme, trois spectacles mettent en scène des figures mythologiques où les qualités militaires, héroïques et chevaleresques du souverain sont manifestées par Jupiter, Hercule, Atlas et Persée. Ces spectacles permettent à leur tour de représenter la bataille de Marignan, ainsi que l’image d’un roi fort, vaillant, puissant, honoré par ses exploits militaires et aspirant à s’élever au titre de protecteur de la Respublica Christiana.

Au carrefour du Paon, le spectacle met en scène le thème de la gigantomachie pour glorifier le roi puissant et protecteur. D’ailleurs, l’auteur utilise un passage des Métamorphoses d’Ovide, extrait qui constitue d’ailleurs l’histoire du spectacle :

Car les géants, à ce qu’on assure, voulurent conquérir le royaume des cieux et entassèrent, pour s’élever jusqu’aux astres, montagnes sur montagnes. Alors, le père tout puissant fracassa l’Olympe sous les traits de la foudre, etc.[67]

Le théâtre montre un Jupiter, vêtu de manière à représenter le roi sceptre à la main, qui foudroie les géants voulant le renverser de son trône. Par la suite, plusieurs divinités, telles Neptune, Mars, Vulcain, Mercure et Janus, lui font la révérence, en admiration devant sa puissance. Plusieurs références bibliques sont ensuite utilisées, tels qu’un extrait du Psaume 94 : « Celui-ci est vraiment le très grand roi au-dessus de tous les autres »[68] ; et de la Vulgate : « Ils seront confondus, tous ceux qui combattent contre moi »[69]. Sur une plate-bande au-dessus de la scène, il est écrit « Au triomphe de l’illustre Jupiter sur les Géants »[70], intégrant ainsi les cultures chrétienne et antique dans un même spectacle.

De plus, l’auteur de la relation explique que les Géants représentent les adversaires du roi, comme les Turcs et les Infidèles. Il ajoute ensuite à sa relation une inscription contenue dans deux tableaux, l’un en latin et l’autre en français, qui permettent de mieux comprendre l’intention derrière le spectacle :

Perdidit anguipedes magni jovis ira gygantes
Initos propria pellere sede jovem
Sic invicta premet Francisci destera reges.
Aussi lili geram tangere marte domum.[71]

Les geans enfans de la terre
Voulurent monter jucque aux cieux
Pour expeller par folle guerre
Juppiter le plus grant des dieux
Qui pour leur vueil ambitieux
Devant tous les dieux réprimer
Par fouldre les fist abismer.[72]

En comparant le roi de France à Jupiter, dieu suprême, cette mise en scène exprime bien le fait que François assure la défense de son royaume contre ceux qui le menacent, aspect essentiel de son rôle de souverain.

Selon l’historienne de l’art Anne-Marie Lecoq, ce spectacle fait allusion à l’esprit de croisade qui règne en 1517 contre l’Empire ottoman[73]. Sous le règne de Sélim Ier (1512-1520), l’Empire s’accroit considérablement[74]. L’Égypte, la Syrie, la Palestine et certaines régions des Balkans sont annexées[75]. La menace de l’expansion ottomane vers l’Occident est réelle et la Respublica Christiana doit s’organiser pour assurer son unité. Le 11 mars 1517, à Cambrai, François Ier, Maximilien Ier et Charles d’Espagne ont signé un traité s’engageant à lever une armée commune contre la menace ottomane[76] ; la même année, le pape Léon X octroie à François Ier les commandes de l’armée chrétienne pour la croisade de 1517 et 1518[77].

Comme une promotion du rôle de François dans la direction de l’armée chrétienne, ce spectacle utilise Jupiter pour incarner le souverain de France, représenté comme le meilleur candidat pour assurer la stabilité, la paix et la protection de son royaume et de la Respublica Christiana. De plus, la croisade peut seulement être réalisée par des preux chevaliers, soit ceux qui combattent en Terre sainte et vainquent les Musulmans, afin de gagner le paradis et laisser à la postérité un souvenir de leurs accomplissements[78]. Le spectacle célèbre non seulement ses qualités militaires, mais présente aussi François Ier comme le plus puissant des princes, ce qu’en témoignent les divinités qui lui font révérence et admiration.

Quant au spectacle du carrefour La Crosse, celui-ci met en scène le retour du règne de paix et de justice grâce à l’avènement de François Ier. La seule représentation guerrière, incarnée par Persée, se situe dans un écriteau du théâtre. D’un côté de la scène se trouve un monde argenté et, de l’autre, le monde d’Athènes, composé d’une tour sur laquelle Minerve est assise. D’après l’auteur anonyme, un enfant (le roi) descend du ciel accompagné de trois rayons solaires qui se répandent comme une nouvelle clarté sur le monde argenté. Celui-ci devient doré et s’ouvre pour laisser apparaître Saturne, régnant sur ce nouveau monde, dénotant ainsi que c’est le roi qui amène le retour des siècles d’or, c’est-à-dire un « temps et regne de paix, amour, tranquillité et justice »[79]. Ces trois rayons représentent les Grâces Aglaia, Thalia et Euphrosine qui, selon l’auteur, sont les images de la perfection de l’âme du roi. Arrivés au sol, l’enfant et les Grâces sont transportés sur un char jusqu’à Minerve, déesse à la fois guerrière et sage, comme son homologue grec Athéna. Celle-ci donne à l’enfant son écu de prudence (bouclier), afin qu’il obtienne de Jupiter une place parmi les étoiles. En haut de l’échafaud, des inscriptions indiquent que le règne de Saturne revient sur terre grâce à la paix qu’apporte François Ier, et que ses gestes le rendent digne d’être placé parmi les dieux[80].

Le personnage de Persée intervient au moment où Minerve donne à l’enfant l’écu de prudence. Un tableau près du monde d’Athènes indique que

Perseus l’honneur de noblesse.
Qui print de Pallas en jeunesse.
L’escu cirstalim de Prudence.
Représenté par evidence.
Le roy Françoys large donneur.
Seul choys et paragon d’honneur.[81]

Alors que le monde doré où règne Saturne manifeste le bon gouvernement du roi, agissant pour le bonheur de son peuple, le monde d’Athènes manifeste la prudence et la sagesse que doit posséder le roi, illustrées par Minerve et l’écu. Incarnant également l’idéal chevaleresque, comme Hercule, Persée héroïse François Ier et manifeste les qualités guerrières du souverain. Il permet aussi de véhiculer une nouvelle image de l’idéal chevaleresque, différente de celle d’un Hercule-chevalier qui traduit la puissance et la force militaire. Petit-fils du roi d’Argos, demi-dieu et héros ayant terrassé Méduse sous la protection d’Athéna[82], Persée représente la prudence, la vaillance et la noblesse du prince chevalier, comme en témoigne sa présence au le monde d’Athènes. En effet, le spectacle met au premier plan la prudence du roi guerrier, une vertu à maintes reprises utilisée à la Renaissance pour rappeler au souverain qu’il doit faire preuve de discernement dans sa gouvernance[83].

Enfin, au spectacle du Pont de Robec, les figures d’Hercule et d’Atlas sont réutilisées en tant qu’acolytes, contrastant avec l’entrée lyonnaise de 1515. Un Atlas, roi de Mauritanie, et un Hercule, dont « les gestes et victoires sont celebrees et divulgués par le monde »[84], soutiennent le ciel pour signifier que c’est l’œuvre « de grande force et prudence digne d’estre nombré entre les miracles du monde »[85]. Au moment où François Ier arrive devant la scène, ces deux figures lui font la révérence, ce qui permet au ciel de s’ouvrir pour laisser sortir une salamandre, l’emblème de François Ier. Celle-ci descend dans une ville pour combattre un taureau (canton d’Uri) et un ours (canton de Berne). Par cette victoire, la salamandre prend ainsi victorieusement possession de la ville[86].

Cette mise en scène est inspirée d’un spectacle d’entrée de Louis XII à Rouen (1508), dans lequel un porc-épic, l’emblème de Louis XII, est sorti vainqueur d’une bataille contre un dragon à trois têtes (Milan, Gênes et Rome) pour glorifier les victoires de ce souverain en Italie[87]. De la même manière, le spectacle de 1517 fait référence à la bataille de Marignan, remportée par François deux ans plus tôt.

Quant à Hercule et Atlas, ils incarnent les qualités guerrières et royales du souverain, permettant ainsi de célébrer ses gestes et ses victoires pour la postérité comme des miracles. Parangon de l’héroïsme, l’Hercule-chevalier est une figure de la Renommée grâce à ses exploits mémorables[88], remportés par sa puissance et sa force. La décision de montrer cet Hercule et cet Atlas royal soutenant le ciel, à l’image des mythes gréco-romains, permet de présenter la victoire française en Italie comme un prodige et un miracle[89], renforçant de la sorte le caractère héroïque du jeune souverain.

Ainsi, trois spectacles de l’entrée rouennaise emploient des personnages mythologiques pour célébrer le roi de France. Au carrefour du Paon, alors que l’auteur anonyme de la relation emploie la Vulgate, Horace et Ovide pour expliquer la mise en scène, le spectacle utilise la gigantomachie pour présenter François Ier, sous les traits de Jupiter, comme le protecteur de l’unité chrétienne face à la menace turque. Au carrefour La Crosse, Persée est la seule figure exprimant explicitement les qualités guerrières du roi. Cependant, on peut relever deux formes de syncrétisme dans ce spectacle : à travers l’âge d’or de Saturne, symbolisant le bon gouvernement de François Ier, puis à travers la figure de Persée, exprimant à nouveau l’idéal chevaleresque. Enfin, le Pont Robec encense la royauté et les qualités chevaleresques du roi grâce aux personnages d’Atlas et d’Hercule, soutenant miraculeusement le ciel. Ceux-ci aident à faire valoir que ce sont les gestes et les victoires du souverain, comme celle de Marignan, qui permettent de le célébrer dans la postérité.

Conclusion

Sous l’influence italienne, les concepteurs des entrées et les auteurs de leur relation utilisent les figures issues de la mythologie gréco-romaine dans leur panégyrie royale, ce dans le but d’héroïser et de diviniser François Ier. Les spectacles des entrées royales s’inscrivent dans une propagande qui reflète l’image du roi idéal et renforce l’autorité du souverain en le montrant comme chevalier puissant, noble et prudent, capable de défendre et diriger son royaume vers la gloire et la prospérité. Au début du XVIe siècle, bien que la mode antique prenne de plus en plus d’importance, les idées chrétiennes ne disparaissent pas. Le syncrétisme entre les deux cultures est à maintes reprises mis à contribution.

À Paris (1515), le couronnement royal est mis en scène pour manifester l’espoir du bon gouvernement et l’élection divine du nouveau souverain : la Divine Providence et sept figures mythologiques y sont alors représentées. À Lyon (1515), le thème adopté est la future campagne italienne, considérée comme une entreprise chevaleresque guidée par la volonté de Dieu : le cerf ailé et Zéphyr incarnent les anges guidant le navire royal, tandis que l’idéal chevaleresque est symbolisé à la fois par Noble Champion et Hercule, qui libère le duché de Milan (jardin des Hespérides) de Massimiliano Sforza (Atlas). Quant à Rouen (1517), la ville décide de représenter la victoire de la bataille de Marignan, mais aussi la menace turque. L’amalgame d’idées influencées par la mythologie, le christianisme et la Renaissance est mis à contribution : la gigantomachie permet de refléter l’idée de croisade contre les Turcs, puis de représenter François Ier en protecteur de l’unité française et chrétienne à travers le personnage de Jupiter ; le thème solaire et la vertu de la prudence se traduisent dans l’âge d’or gouverné par Saturne, ainsi que la présence de Minerve ; enfin, la conquête de Milan est mise en scène par la bataille de la salamandre – inspirée par celle du porc-épic lors de l’entrée de Louis XII -, ainsi que les miracles royaux et guerriers incarnés par Atlas et Hercule.

Le syncrétisme est omniprésent dans ces entrées. Les idées chrétiennes et médiévales se repèrent dans tous les spectacles, mais se voient progressivement éclipsées par les idées antiques, sans toutefois disparaître complètement. Pour une monarchie de droit divin, l’idée de la volonté divine et les valeurs chevaleresques, derrière les actions et les événements entourant le roi, changent seulement de visage. À la mode, les dieux gréco-romains se retrouvent en avant-scène.


Annexes

Annexe I : Mise en scène nautique sur la Saône, entrée de Lyon 1515

Source: Herzog August Bibliothek, Wolfenbüttel : Empfang König Franz’ I. in Lyon, Cod. Guelf. 86.4 Extrav. 7v-8r.

http://diglib.hab.de/?db=mss&list=ms&id=86-4-extrav&lang=en

Annexe II : Théâtre de rue de la Place au Change, entrée de Lyon 1515

Source: Herzog August Bibliothek, Wolfenbüttel : Empfang König Franz’ I. in Lyon, Cod. Guelf. 86.4 Extrav. 31r.

http://diglib.hab.de/?db=mss&list=ms&id=86-4-extrav&lang=en


Notes

  • [1] Aubrée Chapy, « Louise de Savoie, régente et mère du roi : l’investissement symbolique de l’espace curial », Réforme, Humanisme, Renaissance, vol. 79, n° 1, 2014, p. 74.
  • [2] Elie Konigson, « Premières entrées de Charles VIII (1484-1486) », dans Jean Jacquot et al., Les fêtes de la Renaissance, tome 3, Paris, CNRS, 1975, p. 63.
  • [3] Anne-Marie Lecoq, François Ier imaginaire. Symbolique et politique à l’aube de la Renaissance française, Paris, Macula, 1987, p. 488.
  • [4] Richard Cooper, « The Theme of War in French Renaissance Entries », dans J.R. Mulryne et al, Ceremonial Entries in Early Modern Europe. The Iconography of Power, New York, Ashgate, 2015, p. 15-16.
  • [5] Joël Blanchard, « La conception des échafauds dans les entrées royales (1484-1517) », Le Moyen Français, vol. 19, 1986, p. 70‑71.
  • [6] Bernard Guenée et Françoise Lehoux, Les entrées royales françaises de 1328 à 1515, Paris, CNRS, 1968, 366 p.
  • [7] Anne-Marie Lecoq, François Ier imaginaire. Symbolique et politique à l’aube de la Renaissance française, Paris, Macula, 1987, 565 p..
  • [8] Josèphe Chartrou, Les entrées solennelles et triomphales à la Renaissance (1484-1551), Paris, Presses Universitaires de Paris, 1928, 158 p.
  • [9] Richard Cooper, Roman Antiquities in Renaissance France, 1500-1565, Oxford, Ashgate, 2013, p. 5.
  • [10] Anne-Marie Lecoq, op. cit., p. 11.
  • [11] Jean Jacquot, « Introduction », dans Jean Jacquot et al., Les fêtes de la Renaissance, tome 3, Paris, CNRS, 1975, p. 13.
  • [12] Gilbert Gadoffre, La révoluation culturelle dans la France des humanistes. Guillaume Budé et François Ier, èse, Droz, 1997, p. 282.
  • [13] Guillaume Budé, Marie-Madeleine de La Garanderie et Daniel Franklin Penham, Le passage de l’hellénisme au christianisme De transitu hellenismi ad christianismum, Paris, Les Belles lettres, coll. « Les classiques de l’humanisme. Textes ; [8] », 1993, p. xxvii‑xxxv.
  • [14] Didier Le Fur, Marignan : 13-14 septembre 1515, Paris, Perrin, 2004, p. 31.
  • [15] Elle est la fille du duc de Milan, Jean-Galéas Visconti, et l’épouse de Louis, duc d’Orléans. Elle est la grand-mère du roi de France Louis XII et l’arrière-grand-mère de François Ier.
  • [16] Lucien Bély, La France moderne, 1498-1789, Paris, Presses Universitaires de France, 2013, p. 85.
  • [17] Lucien Bély, op. cit., p. 86.
  • [18] Voici une liste non exhaustive des ouvrage de Pierre Gringore : Château de Labour (1499), Château d’Amours (1500), Folles entreprises (1505) où il soutient Louis XII contre le pape Jules II, Abus du monde (1504), Feintises du monde qui règne (1532), Entreprise de Venise (1509), Espoir de paix (1510) contre le pape Jules II et son successeur, Jeu du prince des Sotz et Mère Sotte (1512). Cynthia J Brown, « Pierre Gringore et les imprimeurs (1499-1518): collaborations et conflits », Seixième Siècle, n° 10, 2014, 67-87 p.
  • [19] Lyse Roy et William Kemp, « “France qui son cueur luy présente” : les relations de l’entrée de François Ier à Paris en 1515 », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, tome LXXVI, n° 3, 2014, p. 474‑475.
  • [20] Lyse Roy et William Kemp, op. cit., p. 487‑488.
  • [21] Hesiode, Philippe Brunet et Marie-Christine Leclerc, La Théogonie, Les Travaux et les Jours et autres poèmes, Paris, Livre de Poche, 1999, 350 p.
  • [22] Jean-Claude Schmitt, Eve et Pandora : la création de la femme, Paris, Gallimard, 2001, p. 211.
  • [23] Dora Mosse Panofsky et Erwin Panofsky, La boîte de Pandore: les métamorphoses d’un symbole mythique, Paris, Hazan, 2014, p. 15.
  • [24] Emmanuel Buron, « La nouvelle Pandore. L’invention d’Eva prima Pandora de Jean Cousin Ie père et les lectures de la fable de Pandore au moment de sa redécouverte en France », Le Journal de la Renaissance, vol. 1, 2000, p. 282‑287.
  • [25] Dora Mosse Panofsky et Erwin Panofsky, op. cit., p. 31‑39.
  • [26] Lyse Roy, « “Deviens ce que tu es”. Les entrées parisienne et lyonnaise de François Ier en 1515 comme miroirs du prince », dans François Rouget (éd.), François Ier et la vie littéraire de son temps (1515-1547), Paris, Garnier, 2017, p. 58.
  • [27] En grec, son nom signifie « présent [doron] de tous [pan] les dieux ». Jean-Claude Schmitt, op. cit., p. 42.
  • [28] Emmanuel Buron, art. cit., p. 299.
  • [29] Didier Le Fur, François Ier, Perrin, 2015, p. 75.
  • [30] Georges Dumézil, « Les cultes de la regia, les trois fonctions ct la triade Jupiter Mars Quirinus », Latomus, vol. 13, n° 2, 1954, p. 132.
  • [31] Cela correspond à une seule facette du personnage de Minerve, étant aussi une déesse guerrière.
  • Honoré Lacombe de Prezel, Dictionnaire iconologique, ou Introduction à la connoissance des peintures, sculptures, medailles, estampes, &c., avec des descriptions tirées des poétes anciens & modernes par M. D. P., chez Théodore de Hansy, 1756, p. 60 et 184.
  • [32] Laurent Bolard, « “Pour sa gloire et sa postérité”. Remarques sur la souveraineté princière dans l’Italie du XVe siècle », Le Moyen Age, vol. CIX, n° 3, 2003, p. 545-546.
  • [33] Ibid., p. 548.
  • [34] Isabelle Flandrois, L’Institution du Prince au début du XVIIe siècle, Paris, Presses Universitaires de France, 1992, p. 163.
  • [35] Anne-Marie Lecoq, op. cit., p. 186.
  • [36] Georges Guigue (éd.), L’entrée de François Premier, roy de France, en la cité de Lyon le 12 juillet 1515. Publiée pour la première fois d’après le manuscrit de la Bibliothèque ducale de Wolfenbûttel, Lyon, Trésorier-Archiviste de la Société, 1899, p. XXXIX.
  • [37] Richard Cooper, Roman Antiquities in Renaissance France, 1500-1565.., op. cit., p. 39.
  • [38] Georges Guigue (éd.), op. cit., p. XXXIX.
  • [39] Michèle Clément, « Pierre Sala, « attardé » ou précurseur ? (ca 1457-1529) », Reforme, Humanisme, Renaissance, vol. N° 81, n° 2, 2015, p. 17‑18.
  • [40] Anne-Marie Lecoq, op. cit., p. 187‑194.
  • [41]  Pierre Sala, L’Entrée de François 1er roy de France en la cité de Lyon le 12 juillet 1515, s.l., s.d
  • [42] Anne-Marie Lecoq, op. cit., p. 194.
  • [43] Pierre Sala, op. cit.
  • [44] Anne-Marie Lecoq, op. cit., p. 191.
  • [45] Ibid.
  • [46] Anne-Marie Lecoq, op. cit., p. 204‑206.
  • [47] Pierre Sala, op. cit.
  • [48] Pierre Sala indique que le duc de Milan est Ludovic Sforza, dit le More (1452-1508), alors que c’est plutôt son fils Massimiliano (1493-1530) qui le succède à la couronne ducale.
  • [49] Pierre Sala, op. ci
  • [50] Ibid.
  • [51] Didier Le Fur, Marignan: 13-14 septembre 1515, op. cit., p. 169 et Raymond Bloch, « Recherches sur la religion romaine du VIe siècle av. J.-C. », Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, vol. 122, n° 3, 1978, p. 676.
  • [52] Colette Beaune, « Monarchie et guerre », dans Yves-Marie Bercé (dir.), Les monarchies, Presses Universitaires de France, 1997, p. 135‑136.
  • [53] Anne-Sophie Laruelle, op. cit., p. 148.
  • [54] Marc-René Jung, op. cit., p. 37‑40.
  • [55] Ce sont Jules César, Alexandre le Grand, Hector, David, Judas Macchabé, Josué, Charlemagne, Arthur et Godefroi de Bouillon. Anne-Marie Lecoq, op. cit., p. 159.
  • [56] Marc-René Jung, op. cit., p. 15.
  • [57] Anne-Marie Lecoq, op. cit., p. 159.
  • [58] Jacques Krynen, op. cit., p. 235.
  • [59] Marc-René Jung, op. cit., p. 36.
  • [60] Jean-Joseph-Antoine Pilot de Thorey, Entrée et séjour de Charles VIII à Vienne en 1490 : avec les histoires jouées en cette ville à l’occasion de l’arrivée de ce prince, Grenoble, 1851, 18 p.
  • [61] Elie Konigson, « Premières entrées de Charles VIII (1484-1486) », dans Jean Jacquot et al., Les fêtes de la Renaissance, Tome 3, Paris, CNRS, 1975, p. 60.
  • [62] Lyse Roy, « “Deviens ce que tu es”. Les entrées parisienne et lyonnaise de François Ier en 1515 comme miroirs du prince », op. cit., p. 49.
  • [63] Didier Le Fur, François Ier, op. cit., p. 100.
  • [64] Alain Corbin (dir.), 1515 et les grandes dates de l’histoire de France, Paris, Seuil, 2005, p. 197.
  • [65] Jack Lang, François 1er ou le rêve italien, Paris, Perin, 1997, p. 93‑94.
  • [66] Anne-Marie Lecoq, op. cit., p. 226.
  • [67] Traduction de Georges Lafaye en 1957, que l’historienne Lyse Roy a récupérée dans son édition prépubliée de l’entrée royale de François Ier à Rouen (1517). Le passage original de la relation d’entrée est en latin : « Affectasse ferunt regnum celeste gygantes / Altaque congesta struxisse ad sydera montes. / Tum pater omnipotens misso perfregit olympum. / Fulmine, et cetera. » Anonyme, L’entree du treschrestien et tresvictorieux Roy de France Françoys premier de ce nom faicte en sa bonne ville et cité de Rouen le second jour d’aoust. En l’an de la redemtpion humain. Mil cinq cent dixsept, s.l., s.d.
  • [68] Psaume 94, 3 : « Vere hic est magnus super omnes deos ». Ibid.
  • [69] Vulgate, Isaïe, 41, 11 : « Confundatur omnes qui pugnant adversum me ». Ibid.
  • [70] L’entree du treschrestien et tresvictorieux Roy de France […] en sa bonne ville et cité de Rouen, op. cit.
  • [71] Dans son édition prépubliée de la relation d’entrée, Lyse Roy traduit ce premier tableau ainsi : « La colère du grand Jupiter a détruit les géants anguipèdes qui comptaient les chasser de son trône. De même, la dextre invincible de François abat les rois qui ont osé porter atteinte, par la guerre, aux pays des lys. »
  • [72] L’entree du treschrestien et tresvictorieux Roy de France […] en sa bonne ville et cité de Rouen, op. cit.
  • [73] Anne-Marie Lecoq, op. cit., p. 270.
  • [74] Ibid., p. 261‑268.
  • [75] Robert Knecht, op. cit., p. 91.
  • [76] Ibid., p. 90‑91.
  • [77] Anne-Marie Lecoq, op. cit., p. 270.
  • [78] Ibid.
  • [79] L’entree du treschrestien et tresvictorieux Roy de France […] en sa bonne ville et cité de Rouen, op. cit.
  • [80] Ibid.
  • [81] Ibid.
  • [82] Pierre Commelin, Mythologie grecque et romaine, Paris, Pocket, 1994, p. 341‑342.
  • [83] Vincent Terrasson de Fougères, « Le mariage du lis et de la rose. L’entrée de Marie d’Angleterre dans Paris en 1514 », Pré-texte franco-danois : arbejdspapirer, n° 3, 2002, p. 46.
  • [84] Anonyme, op. cit.
  • [85] Ibid.
  • [86] Ibid.
  • [87] Pierre Le Verdier, L’entrée de Louis XII et de la reine Anne à Rouen (1508), Société des bibliophiles normands, 1900, p. 16‑17.
  • [88] Anne-Sophie Laruelle, op. cit., p. 147.
  • [89] Anne-Marie Lecoq, op. cit., p. 227.