JONATHAN CASTEX
Université de Montréal
Résumé Aujourd’hui plus que jamais, l’idée qu’en Grèce ancienne la guerre aurait été la sphère par excellence de la divination vacille. Les récentes publications de plusieurs milliers de lamelles en plomb, retrouvées à Dodone, infirment de façon indéniable l’authenticité des grands oracles politiques et militaires transmis par le biais de la tradition littéraire. Ces derniers semblent désormais n’exister que dans l’imaginaire fertile des auteurs anciens. Une thèse qui se vérifie chaque jour à mesure qu’ils sont soumis à une nouvelle étude critique poussée. Dans cet article, nous nous proposons d’entreprendre l’analyse de l’un d’entre eux : celui des « filles de Skédasos ». Rattaché à la célèbre bataille de Leuctres, l’épisode est caractéristique de tous ceux qui sont relatés dans les historiai. Une étude attentive de sa structure narrative permet de mettre en évidence leur véritable nature et leurs fonctions au sein du discours historiographique. |
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Plan
« Throughout the ancient world,
warfare was the sphere of operation par excellence for divination »[1]
Cette affirmation de l’éminent spécialiste de la religion grecque, Robert Parker dans un article republié en 2009, semble faire écho aux dires de Cicéron qui, dans son De Divinatione, affirmait qu’en Grèce ancienne la μαντική (divination) était avant tout le fait des États et trouvait sa pleine raison dans la grande politique et davantage encore, dans la conduite de la guerre[2], et en cela, elle résume parfaitement la thèse qui s’est largement imposée dans l’historiographie moderne. Autant de théories oraculaires subordonnées à l’idée que les oracles littéraires sont authentiques. Et c’est là que le bât blesse ! La très grande majorité de ces épisodes sont rapportés par des auteurs postérieurs aux évènements ; principalement Hérodote, Diodore de Sicile, Plutarque et Pausanias[3]. Or, ceux contemporains des faits, tels que Thucydide ou Xénophon, n’en relatent que très peu. Dès lors, il est évident que presque tous les oracles littéraires sont suspects, puisqu’ils peuvent avoir fait l’objet de multiples réécritures et sont susceptibles d’avoir été au mieux modifiés, au pire totalement fabriqués après les faits[4]. Qui ne connaît pas le célèbre oracle du « mur de bois » prédisant aux Athéniens leur victoire à Salamine[5] ? Ou encore celui révélant à Crésus qu’il détruirait « un grand empire » ? Ce n’est que lorsque ses armées sont vaincues que le roi lydien comprend qu’il s’agissait du sien et non de celui des Perses[6]. Ces deux célèbres χρησμοί (oracles) militaires, pour le moins « rocambolesques », sont représentatifs de la quasi-totalité des oracles transmis par la tradition littéraire : la mort du roi Léonidas aux Thermopyles[7], la durée exacte de la guerre du Péloponnèse[8], le désastre de l’expédition athénienne en Sicile[9] ou encore l’écrasante victoire thébaine à Leuctres prédite un demi-siècle plus tôt[10], en sont autant d’exemples. Pourtant, leur caractère post eventum, leur ambiguïté ou encore les nombreux ressorts littéraires qui les composent n’ont pas suffi à les discréditer. Bien au contraire, séduits par l’idée d’une mantikê intimement liée à la « Grande Histoire », de nombreux spécialistes de la religion grecque n’ont eu de cesse de se lancer dans un processus d’historicisation de chaque révélation. Dans le même temps, certains chercheurs, parmi les plus sceptiques envers les sources littéraires, se sont inscrits en faux contre les critères d’authenticité appliqués à ces épisodes et, s’intéressant moins au « supposé » contexte historique des révélations qu’à leur contenu, ils ont fini par en conclure que les oracles transmis par les auteurs anciens n’étaient qu’affaire de procédé littéraire[11].
La question de l’authenticité des oracles a fini par diviser les chercheurs en deux camps irréconciliables et a conduit la recherche dans une impasse. Plus récemment, certains spécialistes se sont risqués à tenter de concilier les différents points de vue[12], pendant que d’autres tentaient de contourner le problème en portant leur attention sur la pythie et la formulation des révélations[13]. Des démarches très intéressantes à de nombreux égards, mais viciées sur la méthode et malheureusement vouées à l’échec. La situation, qui semblait inextricable, a finalement connu un nouveau rebondissement avec la publication d’un corpus de plusieurs milliers de lamelles oraculaires en plomb, retrouvées à Dodone. Pas une seule lamelle émanant de ce grand sanctuaire panhellénique ne concerne de près ou de loin la grande politique ou la conduite de la guerre[14]. En outre, les consultations publiques ne représentent qu’une infime partie de l’activité du mantéion et, lorsqu’une cité consulte, c’est toujours pour régler un problème d’ordre religieux ou civique[15]. Cette absence totale d’oracles militaires sur un si grand corpus constitue un contrepoids de premier ordre aux oracles delphiques et permet, pour la première fois, de mettre les sources littéraires face à leurs contradictions.
Un état de fait qui fait basculer le rapport de force en faveur des chercheurs les plus sceptiques à l’égard des textes, qui plaident en faveur d’une relecture de l’ensemble des épisodes oraculaires contenus au sein des historiai, ce en commençant par des cas d’espèce. Dans le cadre de cet article, un oracle en particulier a retenu notre attention de par la renommée rencontrée et le fait qu’il soit en tout point caractéristique de ceux transmis par le biais de la littérature : celui des « filles de Skédasos ». Il ne s’agit pas ici de retomber dans le travers des études passées et de se lancer dans une interminable explication pour rechercher le degré de « vraisemblance » de ce dernier. Cette méthode a montré ses limites. En revanche, nous allons voir qu’une étude critique de sa structure narrative – épurée de tout préjugé à l’égard de la divination – permet de mettre en évidence le processus d’élaboration post eventum d’une révélation, ainsi que les multiples réécritures et ajouts qu’elle rencontre au gré de sa réception par les auteurs successifs. L’étude critique va ainsi permettre de balayer les derniers soupçons quant à son authenticité. Une fois cette question réglée, nous pourrons mettre au jour les fonctions véritables de cet oracle au sein du discours historique.
1. Création et transmission d’un épisode oraculaire ↑
En -371, l’armée spartiate, conduite par le roi Cléombrote II, rencontre les troupes du général thébain Épaminondas dans la plaine de Leuctres (Béotie). Cette bataille, sur fond de confrontation hégémonique, est un véritable désastre pour Sparte[16]. Prise au dépourvu par la phalange thébaine[17], les Spartiates voient tomber un cinquième de leurs citoyens[18], dont le roi Cléombrote[19]. Une débâcle dont la cité ne se relèvera jamais et qui sonne le glas de sa puissance, ouvrant ainsi la voie à l’éphémère ascendance thébaine[20]. Toutefois, cette retentissante défaite ne présente pas seulement un intérêt pour l’histoire politique et militaire de la Grèce au IVe siècle[21]. Avec 3 oracles et 12 présages, elle est également l’une de celles qui concentrent le plus d’épisodes oraculaires de toute l’historiographie grecque[22]. Comme annoncé précédemment, un oracle en particulier a retenu notre attention : celui des « filles de Skédasos ».
Dans le livre VI de ses Hélléniques, Xénophon mentionne un χρησμός qui aurait annoncé le lieu exact de la rencontre, de même que l’issue du combat :
En outre, ils trouvaient un encouragement [les Thébains] dans l’oracle qu’on leur rapportait, d’après lequel les Lacédémoniens devaient être vaincus là où était le tombeau des jeunes filles qui, d’après la légende, après avoir été violentées par des Lacédémoniens, s’étaient tuées. Aussi les Thébains ornèrent-ils ce tombeau avant le combat[23] .
Aux dires du seul auteur contemporain des faits qui nous soit parvenu, un oracle dont l’origine n’est pas indiquée (ὁ λεγόμενος) semble avoir circulé dans les rangs thébains peu avant la rencontre. On ne peut que douter de l’authenticité de cet épisode, qui semble bien plus relever du ouï-dire et de la légende urbaine que du fait historique. Jusqu’au jour de la bataille, rien ne laissait présager que la rencontre entre les deux armées se situerait aux abords d’un insignifiant bourg de Béotie, tout comme il était impossible d’en deviner le vainqueur. Partant de ce constat, il n’est donc pas prématuré d’avancer qu’il s’agit d’une élaboration post eventum, forgée immédiatement après la rencontre par la population locale puis récupérée par la tradition littéraire. Xénophon ne se soucie pas du tout de savoir si l’épisode est véridique. S’il l’introduit dans son récit, c’est avant tout par pure convention esthétique et stylistique[24].
Par la suite, la légende des « filles de Skédasos » va très vite rencontrer une certaine renommée, comme en témoigne le compilateur grec Diodore de Sicile :
Épaminondas reçut aussi la visite de quelques devins du pays qui lui dirent que les Lacédémoniens éprouveraient un grand revers près du tombeau des filles de Leuctrus et de Scédasus. Voici pourquoi : Leuctrus avait laissé son nom à cette plaine ; les filles de Leuctrus et de Scédasus furent violées par des députés de Lacédémone. Ces filles outragées, ne pouvant survivre à leur déshonneur, se donnèrent elles-mêmes la mort en maudissant le pays qui avait choisi de tels députés[25].
La tradition aurait gardé en mémoire le nom des pères des jeunes filles (Leuctrus et Scédasus). Une explication étiologique au toponyme de la plaine de Leuctres qui ne laisse paraître aucun doute quant à la véracité des faits. On note également la mention d’une malédiction, inconnue de Xénophon, qui aurait été proférée par les jeunes filles à l’encontre des Spartiates. Il s’agit d’une version qui témoigne du travail de réécriture de ce genre d’épisodes et qui montre les ajouts de différents auteurs à différentes époques. La version que l’on retrouve chez le moraliste Plutarque ne fait que confirmer cet état de fait :
Dans la plaine de Leuctres se trouvent les tombes des filles de Scédasos, que l’on appelle du nom du lieu les Leuctrides, car, après avoir été violées par des hôtes spartiates, elles furent enterrées là. Après un crime aussi horrible, le père ne put obtenir justice à Lacédémone ; alors il proféra des malédictions contre les spartiates et s’égorgea lui-même sur le tombeau de ses filles. Dès lors, des oracles et des prédictions avertissaient sans cesse les Spartiates de veiller et de prendre garde à la vengeance de Leuctres, avertissement que la plupart d’entre eux ne comprenaient pas bien et qui laissait des doutes sur le lieu, car il y a en Laconie, près de la mer, une petite ville qui porte le nom de Leuctres, et près de Mégalopolis, en Arcadie, une localité du même nom. Au reste, le crime remontait à une époque beaucoup plus ancienne que la bataille de Leuctres[26].
Cette fois-ci, Scédasus est le père de toutes les jeunes filles et Leuctrus désigne seulement leur patronyme. Autre différence notable, les filles ne se suicident pas, mais sont tuées par les Spartiates. Plutarque insiste bien sur la nature abjecte de ce crime et, comme si cela ne suffisait pas, il y ajoute le non-respect de l’hospitalité, une faute grave qui aboutit souvent dans les mythes à l’éradication de familles entières. Et puisque nous n’en sommes pas à une contradiction près, cette fois-ci, c’est le père qui profère la malédiction à l’encontre des Lacédémoniens et non plus ses filles. Autre élément intéressant, l’auteur en profite pour insérer un autre topos de la tradition oraculaire : l’ambiguïté de la prédiction[27]. La révélation n’aurait pas été comprise parce qu’il existait plusieurs villes du nom de Leuctres. Au reste, le crime remontait à une époque beaucoup plus ancienne que la bataille de Leuctres. Le caractère oblique des oracles conduit les hommes à ignorer les avertissements divins et accentue ainsi le caractère inéluctable de la révélation[28]. En l’espèce, elle permet d’expliquer pourquoi les Spartiates sont devant Leuctres en dépit des nombreux avertissements divins annonçant leur perte. Cet ajout, propre aux oracles littéraires, est la preuve que la tradition oraculaire est un genre traditionnel qui n’a connu que peu de changements à travers les siècles. Une lecture des Res Gestae d’Ammien Marcellin, auteur romain du IVe siècle, suffit pour s’en convaincre.
Toutes ces variations par rapport à la version de Diodore témoignent de la nature prolifique de la tradition oraculaire. D’ailleurs, l’évocation de la légende des « filles de Skédasos » sert ici de prétexte à Plutarque pour introduire un autre signe[29]. Dans un songe, Skédasos, le père des jeunes filles, aurait exigé le sacrifice d’une jeune vierge rousse au général thébain Pélopidas s’il voulait remporter la victoire. S’ensuit un débat entre ceux qui défendent une pratique « ancestrale » et ceux qui dénoncent un rite « barbare » et « cruel », lequel trouve sa résolution dans la substitution de la jeune fille par une cavale à la crinière rousse, après l’inspiration soudaine du devin Théocrite[30]. Cet épisode oraculaire est indubitablement un faux-semblant très bien construit, qui sert de prétexte au moraliste afin de condamner fermement le sacrifice humain, « horrible et contraire aux lois humaines », ainsi que les « âmes lâches et méchantes » qui souhaitent y avoir recours[31]. Quoi qu’il en soit, ce nouveau présage vient confirmer que chaque auteur y va de sa petite contribution, aboutissant finalement à un récit à part entière.
Dans Histoire d’amour, autre œuvre du moraliste, le nom de l’aînée des jeunes filles apparaît : Hippô[32], un nom « parlant » typique de la littérature et qui inscrit un peu plus le passage dans le genre auquel il appartient. Cette fois ci, ce n’est pas une cavale rousse qui est sacrifiée, mais un poulain blanc[33]. Par ailleurs, ce récit est de loin le plus exhaustif : Plutarque met en scène le rapt et le meurtre des jeunes filles, puis le voyage de Skédasos jusqu’à Sparte pour obtenir justice. N’ayant pu l’obtenir, il s’en retourne à Leuctres pour se donner la mort de façon tragique après avoir invoqué les Érinyes : « Skédasos court chez les rois et va ensuite pousser sa plainte auprès de chacun des simples citoyens. N’obtenant pas plus de succès, il courut à travers la ville, les mains levées vers le soleil, frappa la terre en invoquant les Érinyes et, pour finir, il se donna la mort […] »[34]. Une version de la légende qui fait appel à tous les codes de la tragédie : faute, malédiction, suicide et imprécation[35]. Mais comme si cette histoire ne suffisait pas, le moraliste ajoute qu’en rentrant à Leuctres, Skédasos aurait rencontré un vieillard dont le fils aurait été victime d’une tentative de viol avant d’être égorgé par un Lacédémonien. C’est là un ajout qui donne plus de force à la condamnation morale, preuve au besoin que nous sommes bien en présence de l’œuvre d’un moraliste.
Pour finir, six siècles après les faits, Pausanias nous livre une version qui est de nouveau étoffée[36]. À côté d’Hippô, le nom d’une autre fille est mentionné, Molpia, tout comme ceux des Lacédémoniens incriminés, Phrourarchidas et Parthénios[37]. Un peu plus loin, la légende est évoquée dans un oracle en vers hexamétriques :
J’ai sous ma protection Leuctres l’ombragée et les champs Alésiens ; je veille aussi sur les deux filles infortunées de Scédasos, vers le tombeau desquelles se livrera un combat qui fera verser beaucoup de larmes, et nul n’en aura connaissance qu’au moment fatal où les Doriens perdront la fleur de leur jeunesse lorsque ce jour fatal sera arrivé, on pourra prendre Céresse, mais autrement elle est imprenable[38].
Il s’agit d’une révélation qui, par son style, s’inscrit dans la pure tradition des oracles delphiques. Outre la défaite spartiate à Leuctres, l’oracle mentionne la capture de la place forte de Céresse. Une victoire qu’Épaminondas arrache très peu de temps après cette dernière. La prédiction est donc facile pour un dieu omniscient ou pour un auteur postérieur aux faits, un ajout qui est sûrement postérieur à – 368. En effet, il est fait mention de « larmes » : bien que ce soit un topos littéraire récurrent, on peut y voir ici une référence à la célèbre guerre sans larme de -368, qui oppose les Spartiates et les Arcadiens, trois ans après celle de Leuctres. Cette volonté d’association de Delphes à une célèbre bataille grecque émane peut-être des prêtres du sanctuaire.
Autre élément très intéressant, cet oracle se situe bien après le « prétendu » déclin des grands oracles militaires du Ve siècle av. J.-C., une complication de plus pour les tenants de cette thèse. Qu’à cela ne tienne, la Pythie aurait délivré cet oracle vers -520[39]. Cette théorie met en lumière le processus d’historisation poussée à l’extrême et ne va pas sans poser quelques problèmes. Joseph Fontenrose, bien que très critique envers les épisodes oraculaires, tente cette foisci de rattacher un oracle fabriqué de toute pièce à un manteion particulier pour prouver sa véracité, une démarche qui ne peut-être que vaine. D’autant plus qu’il avance que la dernière partie de l’oracle, annonçant la chute de Céresse, est un ajout postérieur à un oracle authentique, dont la question principale aurait été la défaite spartiate de Leuctres. Cette conclusion, qui ne peut être étayée, permet à la fois de légitimer l’utilisation de certains éléments et de rejeter les détails les plus gênants d’une révélation pour alimenter une thèse préétablie. Ces tentatives, qui n’ont pour but que de sauver l’authenticité de l’oracle, exposent les faiblesses d’une telle démarche. À moins que l’on soit prêt à concéder qu’une simple prêtresse ait, par inspiration, prédit l’issue de deux batailles consécutives un siècle et demi plus tôt, il faut se résoudre à rejeter l’historicité de ce chresmos.
Au-delà du chresmos de Pausanias, les modernes ne peuvent s’empêcher de rechercher le degré d’historicité de la légende : « The Thebans were heartened by pretended signs from heaven, and a deserter told the Thebans the story of the maidens whom Spartans had outraged at Leuctra. So far, all is acceptable »[40]. L’épisode a également été utilisé pour avancer l’idée d’un culte héroïque prenant place autour du sacrifice d’un équidé. Il s’agit d’une thèse qui reposait sur le prénom Hippô et qui était étayée par d’hypothétiques traces archéologiques, largement extrapolées[41]. L’exemple ne semble pas, depuis S. Reinach, avoir retenu l’attention, mais il montre très bien que l’on peut ériger toute une hypothèse sur la seule bonne foi d’un moraliste tardif. Encore faut-il prouver que le songe de Pélopidas et le nom de la jeune fille conservée soient authentiques. Quoi qu’il en soit, cette étude de cas illustre comment la simple mention d’un oracle, créé de toutes pièces après les évènements, va subir de multiples réécritures et accentuations dramatiques. Aussi, elle montre comment ce dit épisode, à la frontière entre mythe et réalité, va être jugé « vraisemblable » par les modernes, tombant ainsi dans le piège de la rhétorique antique. Enfin, cette réappropriation systématique de la légende par tous les auteurs anciens tend à prouver que les oracles et présages sont des éléments attendus et obligés du récit historique, en d’autres termes, qu’il s’agit d’un topos littéraire.
2. L’épisode oraculaire comme topos littéraire ↑
Bien que ce soit difficile à concevoir pour nous, l’historia grecque n’a rien à voir avec notre propre discipline, en cela qu’elle se soucie moins de la véracité des faits que du style et de la rhétorique du récit. Par là, l’auteur ancien cherche à persuader et à emporter l’adhésion des lecteurs sur les évènements non pas tels qu’ils se sont passés, mais tels que ce dernier les appréhende. Hérodote rédige son Enquête afin que le temps n’abolisse pas les travaux des hommes et pour que les grands exploits accomplis ne tombent pas dans l’oubli[42]. Pour ce faire, autant y mettre les formes, comme le résume si bien la chercheuse Catherine Darbo-Peschanski : « Finalement, tout ce qui se raconte, que ce soit vrai, faux ou vraisemblable, pourra se dire Historia »[43]. En somme, l’historiographie ancienne est un genre littéraire au même titre que l’épopée, la poésie, la rhétorique ou le théâtre. Considérant tout cela, les oracles et présages, qui sont des élaborations post eventum attendues et obligées du récit historique, répondent à une contrainte du genre auquel ils appartiennent.
Dans le cas qui nous intéresse, la légende des « filles de Skédasos » est d’abord une accroche narrative, une sorte de prélude qui sert à mettre l’emphase sur le caractère dramatique et inéluctable de la rencontre qui s’apprête à être relatée. D’après toutes les sources anciennes qui nous sont parvenues, la défaite spartiate de Leuctres trouverait son explication dans l’acte d’hybris commis par quelques Lacédémoniens à une époque reculée, et d’ailleurs indéfinie. La finalité esthétique de l’épisode, qui mêle habilement faits historiques, ouï-dire et légendes, ne fait donc aucun doute et appuie l’idée que la frontière entre histoire et mythe est très mince, voire inexistante[44]. Quant à cette idée de rétribution divine, accompagnée de l’image de jeunes filles innocentes, victimes d’une mort injuste et prématurée, elle semble bien plus sortir d’une œuvre tragique ou d’une épopée homérique que d’un récit historique. Ceci démontre qu’à nos yeux il n’y a pas de cloison entre les différents genres littéraires, dont l’historia fait partie, un fait confirmé par l’introduction de plusieurs topoi de la tragédie au sein du récit : la faute, la malédiction, le suicide.
Chez Xénophon, l’anecdote prend la forme d’un simple λόγιον[45](rumeur), mais suffisamment intrigant pour laisser libre cours à l’imagination fertile des auteurs postérieurs, comme en témoignent les multiples réécritures et ajouts. Le nom du père des jeunes filles, Leuctros, sert à assouvir la curiosité sur le lieu improbable, mais désormais célèbre de la rencontre. Il en va de même pour l’introduction, à un moment donné, du nom des jeunes filles et des Lacédémoniens incriminés. L’étoffement de la légende témoigne tout autant du souci d’embellir l’œuvre que d’attiser l’intérêt du lecteur. En outre, le soin apporté à la dimension dramatique de la légende ne fait que mettre en exergue la fonction littéraire de l’épisode. L’accentuation dramatique atteint son paroxysme dans les versions très élaborées de Plutarque : le récit du suicide du père des jeunes filles invoquant les Érinyes en est l’illustration parfaite. Pour reprendre les mots de Marie Delcourt, ces faux relèvent du « merveilleux d’opéra »[46], une formule qui semble parfaitement bien appropriée. Toutefois, à elle seule, la finalité esthétique ne suffit pas à expliquer le recours systématique à ce genre d’épisodes dans les historiai, ni à expliquer le fait que la pratique ait perduré jusqu’à la toute fin de l’Antiquité.
Au-delà du seul aspect littéraire évident, l’introduction d’un oracle traduit la volonté de « donner un sens » aux évènements qu’ils annoncent, tout en affermissant leur caractère inéluctable. Comme le dit très justement Julia Kindt : « After all, history, too, draws on the medium of narrative. Storytelling is the key to the way in which the past becomes tangible as history »[47]. Une finalité d’autant plus importante considérant qu’à l’époque des Helléniques le dénouement de la rencontre était connu de tous. L’intérêt du récit historique n’est donc pas de savoir comment il se termine, mais plutôt comment les évènements se sont enchainés[48]. La cuisante défaite spartiate face à une puissance de seconde zone ne pouvait rester inexpliquée[49], d’où l’introduction de ces signes divins. À défaut de trouver une cause évidente ou suffisante, les commentateurs se sont tournés vers les dieux, dans une démarche a posteriori bien sûr. Il ne faut pas oublier que bien qu’il s’agisse d’un « faux », l’épisode oraculaire témoigne d’un profond sentiment religieux et véhicule une vérité toute simple : le destin des hommes et des cités est soumis à la volonté et aux lois divines. Ce « faux » pieux est d’ailleurs tout à fait exact sur le plan religieux. Leuctres serait une sévère et sanglante punition à l’encontre de Spartiates ayant enfreint les lois humaines et divines, et ce à de trop nombreuses reprises[50]. Les Thébains ne seraient ainsi que l’instrument de cette vengeance[51]. Comme le dit si bien Roland Crahay : « Les oracles constituent une espèce de philosophie de l’histoire où s’exprime sous une forme pseudo prophétique la leçon de l’événement »[52]. Ici, la leçon est d’abord morale :
Qui en effet, ne condamnerait pas ces gens qui, héritant de leurs ancêtres une hégémonie assise sur les bases les plus solides et conservée, grâce aux mérites de ces mêmes ancêtres, pendant plus de cinq cents ans, l’ont vue détruite parce qu’ils ont agi inconsidérément ? Cela s’explique : les générations précédentes avaient acquis une gloire sans pareille par d’innombrables et périlleux combats et en traitant les peuples soumis avec modération et humanité ; leurs descendants, au contraire, avec leurs actes de violence, leur hauteur à l’égard de leurs alliés, avec leurs guerres injustes, arrogantes contre les Grecs, ont mené une politique inconsidérée qui explique la perte de leur empire[53].
La condamnation est soulignée dès l’introduction du livre XV et laisse apercevoir l’influence de sources philosophiques. La malédiction qui aurait été proférée par les jeunes filles, juste avant de se donner la mort, est un autre ajout qui témoigne du souci porté à l’esthétisme et à l’effet dramatique du passage, mais qui sert également à mettre en exergue la nature inéluctable et surtout la condamnation morale que représente la défaite spartiate. Une condamnation qui est d’ailleurs reprise par de nombreux auteurs. Plutarque, par l’intermédiaire du père des jeunes filles, déclare que « les Lacédémoniens venaient à Leuctres payer leur dette à lui et à ses filles[54] ». Ce dernier n’hésite d’ailleurs pas à exagérer la faute morale en mentionnant un deuxième rapt commis par un Lacédémonien, ainsi que le refus de la cité de rendre justice au père suppliant.
En dernier lieu, outre sa fonction esthétique et étiologique, la mention d’un épisode oraculaire à l’aube d’une bataille contribue à auréoler cette dernière de mystère et ainsi mettre l’accent sur son importance décisive. Bien que la réalité soit tout autre, au sein de la tradition littéraire, la divination n’est pas affaire de « vulgaires » préoccupations, mais elle est au service de la « Grande Histoire »[55]. Dès lors, en mentionnant un oracle ou un signe dans l’enchaînement des évènements, les auteurs anciens rendent compte de la place déterminante de Leuctres dans l’histoire de la Grèce. Xénophon met donc l’emphase sur la place déterminante de cette débâcle spartiate dans l’Histoire de la Grèce. Les auteurs anciens aimaient avoir recours à des « marqueurs temporels » et Leuctres, qui voit la mort d’un cinquième des citoyens spartiates ainsi que celle du roi Cléombronte II, semblait toute désignée pour symboliser à elle seule le déclin de Sparte et la fin de l’impérialisme lacédémonien sur les États grecs. La finalité de l’épisode est donc ici rhétorique.
Conclusion ↑
En conclusion, l’étude minutieuse de ce cas d’espèce a mis en évidence le processus d’élaboration post eventum d’un oracle, en tout point caractéristique de ceux relatés par les auteurs anciens, ainsi que les multiples réécritures dont il a fait l’objet au gré de ses réceptions et réutilisations par différents auteurs. Des constatations qui nous permettent d’entrevoir un début de réponse quant à l’authenticité d’un grand nombre, pour ne pas dire la quasi-totalité, des oracles militaires. Quant à la réappropriation systématique de la légende par tous les auteurs tardifs, elle tend à prouver que ces anecdotes littéraires sont attendues et obligées au sein du discours historique, mais pas seulement. Comme nous l’avons vu, l’ajout tardif de certains topos du genre, ici l’ambiguïté de la révélation, montre que la tradition oraculaire est un genre traditionnel qui a très peu évolué tout au long de l’Antiquité.
Par ailleurs, bien que totalement fabriqués, ces épisodes n’en sont pas moins l’expression d’un profond sentiment religieux et l’exposition d’une vérité toute simple : la soumission du destin des hommes et des cités à la volonté divine. Cette conformité des oracles littéraires avec la piété des anciens, doublée de leur caractère « vraisemblable » , explique pourquoi, dès leur mise par écrit, ils sont considérés comme authentiques. Même si de leur temps, et ce depuis l’époque archaïque, les cités consultent les manteia à propos de préoccupations religieuses, les auteurs tardifs tels que Cicéron ou Plutarque n’ont aucune raison de remettre en question l’authenticité des épisodes relatés par leurs prédécesseurs. Il n’est donc pas étonnant de voir le premier en conclure que la Grèce n’a entrepris aucune guerre sans l’avis des dieux, pendant que le second tente de comprendre les raisons de cette supposée disparition des grands oracles d’antan. Cela illustre à quel point le discours religieux a imprégné le discours historique. Autrement dit, la sphère oraculaire n’a pas évolué en marge du discours historique, mais elle en est une composante intrinsèque : pour les anciens, la sphère religieuse est indissociable du politique et du militaire. Il est donc indispensable de tenir compte de ce sentiment religieux inhérent au monde antique, dans la mesure où il a eu un impact certain sur la perception de cette bataille par les différents auteurs, ainsi que sur leur
retranscription des évènements.
Enfin, au-delà de cette étude de cas, il convient de se rappeler que d’une part, la seule attestation littéraire d’une pratique, aussi récurrente soit-elle, ne suffit pas à démontrer son historicité ; et d’autre part, que les oracles contenus dans les historiai aient pu être admis comme historiques par les Grecs anciens ne les rend pas davantage authentiques à nos yeux.
Notes ↑
- [1] Robert Parker, « Greek States and Greek Oracles » dans Richard Buxton (dir.), Oxford Readings in Greek Religion, Oxford – New York, Oxford University Press, 2009, p. 87 ; L’article avait déjà été publié dans History of Political Thought, vol. 6, no ½, 1985, p. 298-326.
- [2] Cicéron, De Diuinatione, I.43.95.
- [3] Sur les 535 réponses delphiques conservées, seul 75 d’entre elles sont considérées comme « historiques », c’est à dire, non pas authentiques, mais retranscrites à l’époque des faits. Voir Joseph Fontenrose, The Delphic Oracle, Its Responses and Operations with a Catalogue of Responses, Berkley – Los Angeles – Londres, University of California Press, 1978.
- [4] Pierre Bonnechere en donne un parfait exemple dans « Los oráculos griegos y la gran política. Un contra-ejemplo. El Oráculo de Dodona y la Guerra de Las Lagrimas en Eutresis en 368/7 A.C », dans Marcelo Campagno, Julián Gallego et Carlos Garcia (dir.), Política y religión en el Mediterráneo antigua. Egipto, Grecia, Roma, Buenos Aires, Miño y Dávila, 2009, p. 273-286.
- [5] Hérodote, Enquête, VII.141 ; pour une étude critique de cet épisode, voir Laurence de Tilly, Recherche sur la plasticité du discours oraculaire : l’exemple de l’oracle du « Mur de Bois » (Hérodote, 7, 140-146), mémoire de maîtrise, département d’histoire, Université de Montréal, 2013, 99 p.
- [6] Hérodote, op.cit., I.53-91.
- [7] Ibid., VII.220.
- [8] Thucydide, La Guerre du Péloponnèse, V.26.
- [9] Ibid., VIII.1.
- [10] Pausanias, Description de la Grèce, IX.14.3.
- [11] Voir Pierre Amandry, La Mantique apollinienne à Delphes : essai sur le fonctionnement de l’oracle, Paris, Boccard, 1950 ; Marie Delcourt, L’Oracle de Delphes, Paris, Payot, 1955 ; Voir également Raymond Crahay, La Littérature oraculaire chez Hérodote, Paris, Les Belles Lettres, 1956 ; ces éminents spécialistes sont les architectes d’une véritable critique oraculaire.
- [12] Hugh Bowden, Classical Athens and The Delphic Oracle. Divination and Democracy, Cambridge, Cambridge University Press, 2005. En traitant des oracles et de leur importance politique, l’ouvrage de Bowden aborde très brillamment une question dont on pensait pourtant avoir fait le tour ; plus récemment, Julia Kindt a tenté une nouvelle approche en analysant les raisons de l’introduction d’un oracle par un auteur particulier et à une époque précise. Julia Kindt, Revisiting Delphi. Religion and Storytelling in Ancient Greece, Cambridge, Cambridge University Press, 2016.
- [13] Michael Flower, The Seer in Ancient Greece, Berkeley – Los Angeles – Londres, University of California Press, 2008.
- [14] Le corpus d’Éric Lhôte, qui compte presque 200 lamelles, adopte un classement thématique : Éric Lhôte, Les Lamelles oraculaires de Dodone, Genève, Librairie Droz, 2006. Un an plus tard, Esther Eidinow complète le travail de Lhôte et l’enrichit de nombreux commentaires : Esther Eidinow, Oracles, Curses, and Risk Among the Ancient Greeks, Oxford – New York, Oxford University Press, 2007. Enfin, longtemps attendu et espéré, le DVC est le corpus épigraphique grec le plus complet en matière oraculaire : Sotiros Dakaris, Ioulia Vokotopulou, Anastasios-Phoivos Christidis, Τα χρηστήρια ελάσματα της Δωδώνης των ανασκαφών Δ. Ευαγγελίδη (Les lamelles oraculaires de Dodone. Fouilles de D. Evaggelidis), vol. I-II, Athènes, Bibliothèque de la Société Archéologique d’Athènes, 2013.
- [15] Pierre Bonnechere, « The Religious Management of the Polis, Oracles and Political DecisionMaking », dans Hans Beck (dir.), A Companion to Ancient Greek Government, Chichester, John Wiley & Sons, 2013, p. 366-381 ; id., Oracles and Politics in Ancient Greece, in Regard to the New Lamellae of Dodona : A Needed ‘palinode’, (sous presse) ; Robert Parker, « Seeking Advice from Zeus at Dodona », Greece & Rome, vol. 63, 2016, p. 69-90.
- [16] Diodore, op.cit., XV.1.1-2.
- [17] Avant la bataille, Épaminondas a eu l’idée de placer ses troupes d’élites à gauche de la phalange béotienne et non à droite comme cela était de coutume (Diodore, op.cit., XV.55.3). Cette innovation stratégique aurait pris de court les Spartiates et leur aurait assuré la victoire. De nombreuses thèses vont tenter d’expliquer le choix judicieux du général thébain.
- [18] Ibid., XV.56.4 : (4000 lacédémoniens / 300 spartiates : ‘le chiffre magique’) ; Plutarque, Vie d’Agésilas, XXVIII.7 (1000 Lacédémoniens) ; Pausanias, Description de la Grèce, IX.13.6 (47 Thébains et 1000 Lacédémoniens) ; tous ces chiffres sont très certainement des estimations post eventum, guidés par les orientations narratives de chaque auteur. Aristote décrit Leuctres comme un « seul coup », dont les pertes ont suffi à mettre un terme à l’hégémonie spartiate (Aristote, Politique, 1270a).
- [19] Il faut remonter aux guerres médiques et à la mort de Léonidas aux Thermopyles, en 480 av. J.-C., pour voir un souverain mourir lors d’une campagne militaire.
- [20] Voir l’ouvrage de référence sur l’hégémonie thébaine : John Buckler, The Theban Hegemony, 371-362 BC, Cambridge-Londres, Harvard University Press, 1980.
- [21] De nombreux historiens se sont penchés sur cette bataille : John Kinloch Anderson, Military Theory and Practice in the Age of Xenophon, Berkeley-Los Angeles, University of California Press, 1970. L’auteur consacre tout un chapitre à la bataille (p. 192-220) ; John Buckler, op.cit., p.46-69 ; voir également Paul Cartledge, Sparta and Lakonia. A Regional History. 1300-362 BC, Londres-New York, Routledge, 2002 [1979], pour ne citer qu’eux.
- [22] Catalogue entrepris dans le cadre de mon mémoire. Voir Jonathan Castex, Le mirage des oracles… p. 67-68 (conf. n.1).
- [23] Xénophon, Helléniques, VI.4.7 (trad. Jean Hatzfeld).
- [24] « Lorsqu’une nation ou une ville doit éprouver quelques grands malheurs, ce dernier est ordinairement précédé de quelques signes » (Hérodote, op.cit., VI.27).
- [25] Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, XV.54.2-3 (trad. Claude Vial).
- [26] Plutarque, Vie de Pélopidas, XX.5-7 (trad. Robert Flacelière).
- [27] Dans ce cas précis, Plutarque se donne la peine de mentionner l’ambiguïté de la révélation afin d’expliquer pourquoi les Spartiates sont devant Leuctres, ce en dépit des nombreux avertissements divins annonçant leur perte. Il répond ainsi aux attaques des plus sceptiques, tel que Cicéron ; preuve s’il en est, que le moraliste croit en ces signes.
- [28] « In the Greek world, an omen could be confirmed by one or many signs – a dream by an omen and vice versa, a dream by an oracle, and even an oracle by another oracle ». Pierre Bonnechere, « Oracles and Greek mentalities: the mantic confirmation of mantic revelations », dans J. Dijkstra, J. Kroesen et Y. Kuiper (dirs.), Myths, Martyrs and Modernity, Brill, Leyde-Boston, 2010, p.118.
- [29] Plutarque, op. cit., XX.5-7.
- [30] Le bien nommé, ‘l’interprète de Dieu’, après l’apparition à point nommé d’une jument rousse !
- [31] Quant au dénouement, il n’est que la dernière pièce logique d’une structure narrative visant à condamner le sacrifice humain. Dans une autre œuvre de Plutarque, ce n’est plus une pouliche alezane mais un poulain blanc qui est sacrifié et le thème du sacrifice humain a totalement disparu. Plutarque, Histoire d’amour, 774D.
- [32] En grec, Hippô à la même racine que cheval ou pouliche. La même qui aurait été sacrifiée après le songe de Pélopidas.
- [33] Plutarque, Histoire d’amour, 774D.
- [34] Ibid., 774B. (trad. Marcel Cuvigny).
- [35] Homère, Iliade, IX.566-575 : « Il s’indignait des malédictions de sa mère, qui, dans sa douleur du meurtre de ses frères, instantanément aussi, frappait de ses deux mains la terre nourricière, invoquant et Hadès et la féroce Perséphone, étendu de tout son long à terre, dans ses voiles trempés de peurs, et leur demandant de donner la mort à son fils. Et l’Érinys au cœur impitoyable, qui marche dans la brume, du fond de l’Érèbe, entendit sa voix » (trad. Paul Mazon).
- [36] Pausanias, Description de la Grèce, IX.13.5-6.
- [37] Nous avons un nouveau jeu de mot : « le fils naturel », sans père attesté : on demeure dans le domaine des relations sexuelles désavouées. Phrourarchos signifie « chef de la garde ».
- [38] Pausanias, Op.cit., IX, 14.3 (trad. Abbé Gedoyn).
- [39] Joseph Fontenrose, op.cit., p. 335. Pausanias aurait retranscrit une révélation de l’oracle Bakis. à partir d’Éphore ou d’un autre historien. Bakis aurait prédit le retour des Messéniens dans leur pays. Joseph Fontenrose, op.cit., p. 144-148 ; d’après Parke et Wormell, le style et la forme du poème feraient penser à une rédaction du IVe et non du VIe siècle : Herbert William Parke, Donald Ernest Wilson Wormell, The Delphic Oracle, éd. Blackwell, Oxford, 1956, p. 217.
- [40] John Kinloch Anderson, op. cit., p. 206.
- [41] En se basant sur d’obscurs tertres et sur le nom d’Hippô, Salomon Reinach identifie un culte héroïque, avec un rituel sacrificiel autour d’un équidé : Salomon Reinach, « Hippô », Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, vol. 59, no6, 1915, p. 439-452.
- [42] Hérodote, op.cit., préface.
- [43] Catherine Darbo- Peschanski, L’historia : commencements grecs, Paris, Gallimard, 2007, p. 430. Un livre très intéressant où l’auteure propose de revenir sur le sens véritable de l’historia chez les Grecs.
- [44] Claude Calame et Daniel Berman, Myth and History in Ancient Greece: The Symbolic Creation of a Colony, Princeton, Princeton University Press, 2003. Voir également Julia Kindt, op.cit., p.10: « After all, history, too, draws on the medium of narrative. Storytelling is the key to the way in which the past becomes tangible as history ».
- [45] Raoul Lonis, Guerre et religion en Grèce à l’époque classique, Recherche sur les rites, les dieux, l’idéologie de la victoire, Paris, Annales Littéraires de l’Université de Besançon – les Belles Lettres, 1979, p. 73 : « des rumeurs, des “ on dit ”, qui naîssent soudain dans l’atmosphère inquiète et tendue des veillées d’armes [ou sont tout simplement post eventum] et se transmettent de bouche en bouche. Ces rumeurs font généralement état d’anciens oracles dont on avait perdu le souvenir ou de prédictions plus récentes mais dont l’origine reste imprécise ».
- [46] Marie Delcourt, op.cit., p. 47.
- [47] Julia Kindt, op. cit., p. 10: « If, as has frequently been argued, religion is indeed a way of ‘making sense’ of the world, then narrative in one of the ways – perhaps the way – in which this ‘sense-making’ occurs ».
- [48] Ibid.
- [49] Aujourd’hui, les modernes semblent avancer l’idée que la victoire thébaine était préparée et inévitable. Une théorie qui ne peut que faire sourire, car reconnaître que Thèbes devait renverser Sparte, c’est tomber dans le panneau de la rhétorique ancienne et prêter foi aux oracles !
- [50] Xénophon, op.cit., V.4.1.
- [51] Roland Crahay, op.cit., p. 344: « […] c’est le meurtre ou la violence injuste qui sont soumis à son arbitrage et pour lesquels il impose en général une réparation, une compensation ».
- [52] Ibid., p. 22.
- [53] Diodore, op.cit., XV.1.3. (trad. Claude Vial).
- [54] Plutarque, Histoire d’amour, op.cit., 282.
- [55] Les auteurs anciens rapportent très peu de consultations privées. Les très rares mentions concernent toujours un personnage important et servent à annoncer ou à expliquer l’issue d’un événement majeur. La consultation de Tirésias durant les guerres médiques en est l’illustration parfaite (Hérodote, op. cit., IX.33.2.).